« Iseult était belle ? » me demande Igraine.

Je m’accordai quelques secondes de réflexion : « Elle était jeune, dis-je enfin, et comme disait son père...

— J’ai lu ce que disait son père », trancha brusquement Igraine. Quand elle vient à Dinnewrac, Igraine s’assied toujours et parcourt les parchemins terminés avant de prendre place sur le rebord de la fenêtre et d’engager la conversation. Aujourd’hui, cette fenêtre est masquée par un rideau de cuir pour empêcher le froid d’entrer dans la pièce, mal éclairée par les chandelles de joncs posées sur mon écritoire et enfumée parce que souffle le vent du nord et que la fumée du feu ne parvient à s’échapper par le trou percé dans le toit.

« C’était il y a bien longtemps, dis-je d’un air las, et je ne l’ai vue qu’un jour et deux nuits. Je m’en souviens comme d’une belle fille, mais j’imagine que nous avons tendance à embellir tous les jeunes disparus.

— Les chansons disent toutes qu’elle était belle, objecta Igraine avec un sourire désenchanté.

— Et pour cause, c’est moi qui ai payé les bardes. » De même que j’avais payé des hommes pour rapatrier au Kernow les cendres de Tristan. Il était juste, avais-je pensé, que Tristan mort retournât dans son pays natal, et j’avais mélangé ses os à ceux d’Iseult, ses cendres à celles de sa dulcinée, et sans nul doute une bonne quantité de vulgaires cendres de bois, par la même occasion, et je les avais scellés dans une jarre que nous avions trouvée dans la salle où ils avaient partagé leur impossible rêve d’amour. J’étais riche alors, j’étais un grand seigneur, maître d’esclaves, avec mes serviteurs et mes lanciers. J’étais assez riche pour payer une douzaine de chansons sur Tristan et Iseult que l’on chante encore aujourd’hui dans toutes les salles de banquet. Je m’assurai aussi que les chansons imputent leur mort à Arthur.

« Mais pourquoi Arthur a-t-il fait cela ? » reprit Igraine.

Je me frottai le visage de mon unique main. « Arthur avait le culte de l’ordre, expliquai-je. Je ne pense pas qu’il ait jamais vraiment cru aux Dieux. Oh, certes, il croyait à leur existence, il n’était pas fou. Mais il était convaincu qu’ils avaient cessé de s’intéresser à nous. J’entends encore son rire, le jour où il nous a expliqué que nous étions bien arrogants d’imaginer que les Dieux n’avaient rien de mieux à faire que de s’inquiéter de nous. Perdons-nous le sommeil à cause des souris qui s’agitent dans le chaume ? me demanda-t-il. Alors pourquoi les Dieux se soucieraient-ils de nous ? Les Dieux écartés, la seule chose qu’il lui restait, c’était l’ordre, et la seule chose qui pût maintenir l’ordre, c’était la loi, et la seule chose qui obligeât les puissants à obéir à la loi, c’étaient leurs serments. C’était aussi simple que cela, conclus-je dans un haussement d’épaules. Il avait raison, bien sûr. Comme toujours, ou presque.

— Il aurait dû leur laisser la vie, insista Igraine.

— Il s’est plié à la loi », fis-je d’un air morne. J’ai souvent regretté d’avoir laissé les bardes rejeter la faute sur Arthur, mais il me pardonna.

« Et Iseult a vraiment été brûlée vive ? reprit-elle en frissonnant. Et Arthur a laissé faire ?

— Il pouvait se montrer très dur, et il le fallait, car Dieu sait si nous autres pouvions être tendres !

— Il aurait dû les épargner.

— S’il l’avait fait, il n’y aurait eu ni chansons ni histoires. Ils seraient devenus vieux et gras, ils se seraient chamaillés avant de s’éteindre. Ou alors Tristan serait retourné au Kernow à la mort de son père et aurait pris d’autres femmes. Qui sait ?

— Combien de temps Marc a-t-il survécu ?

— Juste un an de plus. Il est mort de strangurie.

— De quoi ?

— Une affreuse maladie, Dame. Mais les femmes, je crois, n’y sont pas sujettes. Un neveu lui a succédé sur le trône, mais je ne me souviens même pas de son nom. »

Igraine fit la moue. « En revanche, vous vous souvenez d’Iseult sortant de la mer en courant, dit-elle d’un ton accusateur, parce que sa robe était trempée.

— Comme si c’était hier, Dame, fis-je dans un sourire.

— La Mer de Galilée », ajouta vivement Igraine, car saint Tudwal avait fait irruption dans notre pièce. Tudwal a maintenant dix ou onze ans : c’est un garçon maigrelet aux cheveux noirs, dont le visage me rappelle Cerdic. Une face de rat. Il partage la cellule de Sansum et son autorité. Quelle chance avons-nous d’avoir deux saints dans notre petite communauté !

« Le saint désire que vous déchiffriez ces parchemins », m’ordonna Tudwal en les déposant sur ma table. Il feignit d’ignorer Igraine. Apparemment, les saints peuvent se montrer grossiers envers les reines.

« De quoi s’agit-il ?

— Un marchand veut nous les vendre, répondit Tudwal. Il prétend que ce sont des psaumes, mais le saint a les yeux trop troubles pour les lire.

— Naturellement. »

La vérité, bien entendu, c’est que Sansum ne sait pas lire et que Tudwal est trop paresseux pour apprendre, bien que nous ayons tous essayé et que nous fassions tous aujourd’hui comme s’il savait lire. Je déroulai soigneusement le parchemin, qui était vieux, cassant et fragile. Les feuilles étaient en latin, langue que je n’entends guère, mais j’aperçus le mot Christus.

« Ce ne sont pas les psaumes, dis-je, mais ils sont chrétiens. Je soupçonne que ce sont des fragments des Évangiles.

— Le marchand en demande quatre pièces d’or.

— Deux ! » tranchai-je, sans vraiment me soucier que nous les achetions ou non. Je laissai les parchemins s’enrouler. « L’homme a-t-il dit où il se les était procurés ?

— Les Saxons, fit Tudwal en haussant les épaules.

— Nous devrions certainement les conserver, dis-je docilement en les lui rendant. Ils devraient trouver place dans le trésor. « Où, pensais-je, reposait Hywelbane à côté de tous les autres petits trésors que j’avais conservés de mon ancienne vie. Tous, sauf la petite broche dorée de Ceinwyn, que je cachais au saint plus âgé. Je remerciai humblement le jeune saint de m’avoir consulté et inclinai la tête lorsqu’il se retira.

« Petit crapaud pustuleux », lâcha Igraine quand Tudwal fut parti. Elle cracha en direction du feu. « Etes-vous chrétien, Derfel ?

— Bien sûr que oui, Dame ! protestai-je. Quelle question ! »

Elle fronça les sourcils en me regardant d’un air moqueur. « Je vous le demande parce qu’il me semble que vous êtes moins chrétien aujourd’hui que vous ne l’étiez quand vous avez commencé ce récit. »

Observation sagace, pensais-je, et qui n’était que trop vraie. Mais je n’osais le confesser ouvertement, car Sansum serait trop heureux d’avoir un prétexte pour m’accuser d’hérésie et me brûler sur le bûcher. Il ne lésinerait pas sur ce bois, même s’il réduisait à la portion congrue ce que nous pouvions brûler dans nos âtres. Je souris : « Vous me faites penser aux choses anciennes, Dame, c’est tout. » Plus je me souviens de ces années, plus les souvenirs me reviennent. Je touchai un clou de fer de mon écritoire de bois pour conjurer le mal de la haine de Sansum.

« Il y a longtemps que j’ai abandonné le paganisme.

— J’aurais aimé être païenne », dit Igraine d’un air désenchanté, resserrant son manteau de loutre sur ses épaules. Elle a encore les yeux pétillants, et son visage est si plein de vie que je suis sûr qu’elle est enceinte. « Ne racontez pas aux saints que j’ai dit ça, s’empressa-t-elle d’ajouter pour me demander aussitôt : Et Mordred, il était chrétien ?

— Non. Mais il savait sur qui il devait s’appuyer en Dumnonie, et il fit ce qu’il fallait pour contenter les chrétiens. Il laissa Sansum bâtir sa grande église.

— Où ?

— Sur Caer Cadarn, fis-je en souriant à ce souvenir. Mais elle est restée inachevée. Ce devait être une grande église en forme de croix. Il prétendait que l’église accueillerait le second avènement du Christ en l’an 500 et il démolit la majeure partie de la salle de banquet pour récupérer le bois, et le cercle de pierres afin d’assurer les fondations de l’église. Il prit la Pierre royale, naturellement. Puis il prit la moitié des terres qui appartenaient au palais de Lindinis et se servit de leur richesse pour payer les moines de Caer Cadarn.

— Vos terres ?

— Ça n’a jamais été mes terres, répondis-je en hochant la tête. C’étaient celles de Mordred. Et, naturellement, Mordred voulut nous chasser de Lindinis.

— Pour habiter le palais ?

— Pour Sansum. Mordred s’installa dans le Palais d’hiver d’Uther. Il s’y plaisait.

— Et vous, alors ?

— Nous nous sommes trouvé une maison. »

C’était l’ancienne salle d’Ermid, au sud de l’étang d’Issa. L’étang ne portait pas le nom de mon Issa, bien sûr, mais d’un ancien chef, et Ermid était lui aussi un ancien chef qui avait habité sur la rive sud. À sa mort, j’avais racheté ses terres, où je m’étais installé lorsque Sansum et Morgane avaient emménagé à Lindinis. Les grands couloirs et les chambres qui résonnaient de leurs cris manquèrent aux filles, mais, pour ma part, j’aimais bien la salle d’Ermid. C’était une vieille salle au toit de chaume, dressée à l’ombre des arbres et pleine d’araignées qui faisaient hurler Morwenna. C’est ainsi que pour ma fille aînée je devins seigneur Derfel Cadarn, le massacreur des araignées.

« Et vous auriez tué Culhwch ? voulut savoir Igraine.

— Bien sûr que non !

— Je hais Mordred.

— Vous n’êtes pas la seule, Dame. »"

Elle garda quelques instants les yeux fixés sur le feu.

« Il fallait vraiment qu’il soit roi ?

— Du moment que l’affaire était entre les mains d’Arthur, oui. Si j’avais été à sa place ? Non, je l’aurais tué avec Hywelbane, malgré mon serment. C’était un triste sire.

— Tout cela me paraît si triste.

— Et pourtant, le bonheur n’a pas manqué dans ces années-là, répondis-je, et même après, parfois. Nous étions assez heureux alors. »

J’entends encore les cris des filles qui résonnaient à Lindinis, leur course précipitée, leur excitation lorsqu’elles trouvaient un nouveau jeu ou faisaient quelque étrange découverte. Ceinwyn était toujours heureuse  – elle était douée pour cela  – et ceux qui vivaient autour d’elle héritaient de ce bonheur et le transmettaient. Et la Dumnonie, j’imagine, était heureuse. Elle prospérait, c’est sûr, et ceux qui travaillaient s’enrichissaient. Les chrétiens avaient beau maugréer, ce furent malgré tout des années de gloire : un temps de paix, celui d’Arthur.

Igraine éplucha les nouvelles feuilles de parchemin pour retrouver un passage.

« À propos de la Table Ronde, commença-t-elle.

— Je vous en prie, dis-je, levant la main pour faire taire la protestation que je voyais venir.

— Derfel ! me reprit-elle d’une mine sévère. Tout le monde sait que c’était une chose sérieuse ! Une chose importante ! Tous les meilleurs guerriers de la Bretagne, tous engagés envers Arthur, et tous amis. Tout le monde le sait !

— C’était une table fêlée qui, à la fin de la journée, l’était encore un peu plus et couverte de vomissures. Ils étaient tous dans les vignes du Seigneur. »

Elle soupira. « J’espère que vous avez simplement oublié la vérité », dit-elle, passant beaucoup trop facilement à un autre sujet, ce qui me laisse penser que Dafydd, le clerc qui traduit mes mots en langue bretonne en sortira quelque chose de beaucoup plus conforme aux goûts d’Igraine. Il n’y a pas si longtemps, j’ai entendu raconter que la table était un immense cercle de bois autour duquel prenait place, avec solennité, toute la Confrérie de Bretagne. Or, il n’y a jamais eu de table pareille, et il ne pouvait y en avoir, à moins d’abattre la moitié des bois de la Dumnonie pour la fabriquer.

« La Confrérie de Bretagne, expliquai-je en m’armant de patience, est une idée d’Arthur qui n’a jamais vraiment marché. C’était impossible ! Les serments royaux l’emportaient sur le serment de la Table Ronde. Qui plus est, hormis Arthur et Galahad, personne n’y a jamais vraiment cru. À la fin, vous pouvez me croire, il était même gêné quand on y faisait allusion.

— Je suis sûre que vous avez raison, fit-elle de l’air de dire qu’elle était persuadée du contraire. Et je voudrais savoir ce qu’est devenu Merlin.

— Je vous le dirai. Promis.

— Tout de suite ! Dites-le-moi maintenant. Il s’est simplement évanoui ?

— Non. Voyez-vous, son heure vint. Nimue avait raison. À Lindinis, il ne faisait qu’attendre. Il a toujours aimé donner le change. Souvenez-vous ! Tout au long de ces années, il a joué au vieil homme moribond, mais en sous-main, sans que personne ne la vît, la puissance était toujours là. Mais c’est vrai qu’il était vieux et qu’il devait économiser ses forces. En fait, il attendait que le Chaudron refît surface. Il savait qu’il aurait alors besoin de toute sa force. En attendant, il lui suffisait de savoir que Nimue entretenait la flamme.

— Alors ! Que s’est-il passé ? » demanda Igraine, tout excitée.

J’enveloppai mon moignon dans la manche de ma robe. « Si Dieu me prête vie, ma Dame, je vous le raconterai. » Et je me refusai à en dire davantage. J’étais au bord des larmes en songeant au dernier déchaînement de la puissance de Merlin en Bretagne, mais cet épisode survint beaucoup plus tard, longtemps après que la prophétie sur la venue des rois à Cadarn s’était réalisée.

« Si vous ne me le racontez pas, reprit Igraine, je ne vous donnerai pas des nouvelles de moi.

— Vous êtes enceinte, fis-je, et j’en suis ravi pour vous.

— Quel goujat ! protesta Igraine. Moi qui voulais vous en faire la surprise !

— Vous avez prié pour cela, Dame, et j’ai prié pour vous. Comment Dieu aurait-il pu laisser nos prières sans réponses ? »

Elle fit la moue.

« Dieu a envoyé la vérole à Nwylle, voilà ce qu’il a fait. Elle était couverte de pustules et de plaies qui suintaient le pus, et le roi l’a renvoyée.

— J’en suis ravi.

— J’espère simplement qu’il vivra assez longtemps pour régner, fit-elle en se passant la main sur le ventre.

— Il ?

— Il, répondit-elle avec fermeté. C’est un garçon.

— Alors je prierai pour cela également », ajoutai-je pieusement, sans trop savoir si je prierais le Dieu de Sansum ou les dieux plus sauvages de la Bretagne. J’ai dit tant et tant de prières de mon vivant, et où m’ont-elles conduit ? Dans ce refuge humide des collines tandis que nos vieux ennemis chantent dans nos anciennes salles. Mais tout cela s’est produit beaucoup plus tard, et l’histoire d’Arthur n’est pas terminée. À certains égards, c’est à peine si elle a commencé. Car c’est au moment où il a quitté sa gloire et cédé le pouvoir à Mordred que les épreuves ont commencé : les épreuves d’Arthur, mon seigneur des serments, mon seigneur implacable, mais mon ami jusqu’à la mort.

 

*

 

Au départ, il ne s’est rien passé. Chacun retenait sa respiration, s’attendant au pire, mais il ne s’est rien passé.

On fit les foins, puis on coupa le lin et l’on plaça les tiges fibreuses dans les rouissoirs si bien que nos villages empestèrent des semaines durant. Puis on s’attaqua aux champs de seigle, d’orge et de blé, avant d’écouter les esclaves chanter leurs chansons autour de l’aire de battage ou des meules qui n’en finissaient pas de tourner. On se servit de la paille pour refaire le chaume, si bien que pendant un temps nos toitures brillèrent comme or au soleil en cette fin d’été. On soigna les vergers, on coupa le bois pour l’hiver et l’on ramassa les verges de saule pour les vanneurs. On se régala de mûres et de ronces, on enfuma les ruches pour récupérer le miel dans des sacoches que nous suspendions devant les feux de la cuisine où nous laissions les vivres pour les morts à la veille de Samain.

Les Saxons restaient à Llœgyr, nos cours rendaient la justice, les vierges étaient données en mariage, des enfants naissaient, d’autres mouraient. La fin de l’année nous valut des brumes et du gel. Le bétail abattu, l’odeur nauséeuse des fosses de tannage remplaça la puanteur des rouissoirs. Le lin nouvellement tissé fut lessivé dans des cuves pleines de cendres de bois et d’eau de pluie mêlée à l’urine que nous avions recueillie tout au long de l’année. Le fisc fit rentrer les impôts de l’hiver. Et, au solstice, nous autres, adeptes de Mithra, nous tuâmes un taureau lors de notre fête annuelle en l’honneur du soleil, le jour même où les chrétiens célébraient la naissance de leur Dieu. À Imbolc, la grande fête de la saison froide, nous régalâmes deux cents âmes dans notre salle, prenant grand soin de disposer trois couteaux sur la table à l’usage des dieux invisibles, et offrîmes des sacrifices pour les récoltes de la nouvelle année. La naissance d’agneaux fut le premier signe de réveil, puis vint le temps des labours et de l’ensemencement, puis des nouvelles pousses vertes sur les vieux arbres nus. Ce fut le premier nouvel an du règne de Mordred.

Ce règne apporta quelques changements. Mordred exigea de récupérer le Palais d’hiver de son grand-père, ce qui ne surprit personne. En revanche, je fus surpris de voir Sansum réclamer pour lui le palais de Lindinis. Il présenta sa requête au Conseil, expliquant qu’il avait besoin de l’espace du palais pour son école et la communauté de saintes femmes de Morgane, mais aussi parce qu’il voulait être à proximité de l’église qu’il construisait au sommet de Caer Cadarn. Mordred y consentit et Ceinwyn et moi en furent donc chassés de manière expéditive. Mais la salle d’Ermid étant vide, nous emménageâmes dans son enceinte brumeuse, à côté de l’étang. Arthur s’opposa à la venue de Sansum à Lindinis, de même qu’il ne voulait pas que le trésor royal finançât la réfection du palais endommagé, assurait Sansum, par une ribambelle d’enfants turbulents. Mais Mordred passa outre. Ce furent ses seules décisions, car il était généralement trop content de laisser Arthur diriger les affaires du royaume. S’il n’était plus le protecteur de Mordred, Arthur n’en était pas moins le plus haut conseiller, et le roi venait rarement au Conseil : il préférait la chasse. Ce n’était pas toujours le cerf ou les loups qu’il chassait : Arthur et moi nous habituâmes à porter de l’or à quelque paysan pour le récompenser de la virginité de sa fille ou de la honte de sa femme. Ce n’était pas une obligation plaisante, mais c’était un royaume rare et heureux où elle n’était pas nécessaire.

Dian, la plus jeune de nos filles, tomba malade dans le courant de l’été. Une fièvre qui ne voulait pas partir, qui allait et venait, mais d’une telle férocité que par trois fois nous la crûmes morte. Et par trois fois, les concoctions de Merlin la ramenèrent à la vie, même si rien de ce que fit le vieillard ne put la débarrasser totalement de son affliction. Dian promettait d’être la plus vive de nos trois filles. Morwenna, la plus âgée, était une enfant raisonnable qui aimait à materner ses petites sœurs et que la marche de la maison fascinait. Elle était toujours curieuse des cuisines, des rouissoirs ou des cuves à lin. Seren, l’étoile, était notre beauté, une enfant qui avait hérité de la délicatesse de sa mère, mais y avait ajouté une nature enchanteresse et pensive. Elle passait des heures avec les bardes, apprenant leurs chansons et jouant de leurs harpes, mais Dian, aimait à répéter Ceinwyn, était ma fille. Dian était sans peur. Elle tirait à l’arc, aimait à monter à cheval, et dès six ans elle savait manier le coracle aussi bien que les pêcheurs de l’étang. Elle était dans sa sixième année quand la fièvre s’empara d’elle, et, sans cette fièvre, nous serions probablement allés tous ensemble au Powys. Un mois nous séparait en effet du sixième anniversaire de l’acclamation de Mordred lorsque le roi nous ordonna, à Arthur et à moi, de nous rendre dans le royaume de Cuneglas.

Mordred nous en fit la demande lors de l’une de ses rares apparitions au Conseil royal. La soudaineté de sa décision nous surprit, de même que la raison invoquée, mais le roi était résolu. Il y avait bien sûr un motif caché. Mais ni Arthur ni moi ne l’avons deviné sur le coup, ni personne au Conseil, sauf Sansum qui en avait eu l’idée. Il nous fallut longtemps pour démêler les raisons du Seigneur des Souris. Nous n’avions non plus aucune raison de nous méfier de la proposition du roi, car elle semblait assez raisonnable, bien que ni Arthur ni moi ne comprîmes vraiment pourquoi nous étions dépêchés tous deux au Powys.

À l’origine, il y avait une vieille, vieille histoire. Norwenna, la mère de Mordred, avait été tuée par Gundleus, roi de Silurie. Mais si Gundleus avait reçu son châtiment, l’homme qui avait trahi Norwenna vivait encore. Il s’appelait Ligessac : quand le roi n’était encore qu’un bébé, il était le chef de sa garde. Mais Ligessac s’était laissé soudoyer par Gundleus et avait ouvert les portes du Tor, laissant le roi de Silurie libre d’accomplir ses desseins meurtriers. Morgane avait réussi à sauver Mordred, mais sa mère était morte. Ligessac, le traître, avait survécu à la guerre qui allait suivi le meurtre, de même qu’il avait survécu à la bataille de Lugg Vale.

Mordred avait entendu l’histoire et il était tout naturel qu’il s’inquiétât du sort de Ligessac, mais c’est l’évêque Sansum qui attisa cet intérêt au point d’en faire bientôt une obsession. Il avait découvert que le traître s’était réfugié avec une bande d’ermites chrétiens dans une région de montagnes isolée, dans le nord de la Silurie, désormais soumise et du ressort de Cuneglas. « Ça me fait mal de trahir un frère chrétien, déclara le Seigneur des Souris d’un ton papelard, mais je suis tout aussi meurtri de savoir qu’un chrétien ait pu se rendre coupable d’une aussi immonde trahison. Ligessac vit encore, Seigneur Roi, dit-il à Mordred, et il devrait comparaître devant votre justice. »

Arthur suggéra que l’on priât Cuneglas d’arrêter le fugitif et de le renvoyer en Dumnonie, mais Sansum rejeta la proposition d’un hochement de tête et insinua qu’il était assurément discourtois de demander à un autre roi de prendre l’initiative d’une vengeance qui touchait d’aussi près à l’honneur de Mordred. « C’est l’affaire de la Dumnonie, insista Sansum, et c’est aux Dumnoniens, Seigneur Roi, de la mener à bien. »

Mordred consentit d’un signe, puis insista pour que ce soit Arthur et moi qui allions capturer le traître. Surpris comme à chaque fois que Mordred faisait preuve d’autorité au Conseil, Arthur hésita. Pourquoi, voulut-il savoir, envoyer en mission deux seigneurs quand une douzaine de lanciers suffiraient ? La question nous valut de Mordred un sourire affecté : « Vous croyez, Seigneur Arthur, que la Dumnonie s’effondrera si vous et Derfel vous absentez ?

— Non, Seigneur Roi, mais Ligessac doit être un vieil homme aujourd’hui et il n’y aura pas besoin de deux bandes de guerre pour le capturer. »

Le roi tapa du poing sur la table. « Après le meurtre de ma mère, reprocha-t-il à Arthur, vous l’avez laissé échapper. À Lugg Vale, Seigneur Arthur, vous l’avez de nouveau laissé échapper. Vous me devez la vie de Ligessac. »

Face à cette accusation, Arthur se raidit un moment, puis inclina la tête pour reconnaître l’obligation. « Mais Derfel, reprit-il, n’y est pour rien. »

Mordred me jeta un coup d’œil. Il m’en voulait encore de toutes les raclées que je lui avais administrées, mais j’espérais que les coups qu’il m’avait donnés lors de son acclamation et le triomphe mesquin qu’il avait remporté en nous expulsant de Lindinis avaient assouvi sa soif de revanche. « Seigneur Derfel, dit-il comme toujours d’un ton railleur, connaît le traître. Qui d’autre le reconnaîtrait ? Je veux que vous y alliez tous les deux. Et il n’est pas nécessaire que vous preniez la route avec vos deux bandes de guerre, précisa-t-il, revenant maintenant à l’objection d’Arthur. Quelques hommes suffiront. » Il devait être un peu gêné de donner des conseils militaires de ce genre à Arthur car il avala les derniers mots et jeta un regard sournois aux autres conseillers avant de retrouver le peu d’aplomb qu’il possédait : « Je veux Ligessac ici avant Samain, et je le veux ici vivant. »

Quand un roi insiste, les hommes obéissent. Arthur et moi partîmes dans le nord avec trente hommes chacun. Aucun de nous ne pensait que nous en aurions besoin de tant, mais cette longue marche était une bonne occasion de donner de l’exercice à des hommes sous-employés. Mes trente autres lanciers restèrent sur place afin de protéger Ceinwyn, tandis que les autres hommes d’Arthur restèrent à Durnovarie ou s’en allèrent épauler Sagramor qui gardait encore la frontière nord avec les Saxons. Leurs habituelles bandes de guerre continuaient à écumer la frontière : ils ne cherchaient pas à nous envahir, mais s’efforçaient de mettre la main sur du bétail et des esclaves comme ils n’avaient cessé de le faire tout au long des années de paix. Nous leur rendions la pareille, mais les deux camps prenaient grand soin de ne pas laisser ces incursions dégénérer en guerre à grande échelle. La paix de fortune que nous avions forgée à Londres s’était révélée étonnamment durable, même si la paix ne régnait guère entre Aelle et Cerdic. Leurs escarmouches les avaient conduits dans une impasse pour notre plus grande tranquillité. En vérité, nous nous étions habitués à la paix.

Mes hommes marchèrent dans le nord tandis qu’Arthur menait leurs chevaux sur les bonnes voies romaines qui nous conduisirent d’abord au Gwent, le royaume de Meurig. Le roi organisa à contrecœur un banquet, où les prêtres étaient plus nombreux que nos hommes, puis nous fîmes un détour par la vallée de la Wye pour voir le vieux Tewdric, que nous trouvâmes dans une modeste cabane de chaume moitié moins grande que la salle dans laquelle il conservait ses parchemins chrétiens. Son épouse, la reine Enid, grommelait contre le sort qui l’avait conduite des palais du Gwent dans ces bois infestés de souris, mais le vieux roi était heureux. Il était entré dans les ordres et ignorait allègrement les reproches de sa femme. Il nous offrit un repas de haricots, de pain et d’eau, et se réjouit en apprenant la propagation du christianisme en Dumnonie. Nous l’interrogeâmes sur les prophéties qui annonçaient le retour du Christ dans quatre ans, et Tewdric répondit qu’elles étaient vraies, même s’il subodorait qu’il était beaucoup plus probable que le Christ attendît encore un millier d’années avant de revenir dans sa gloire : « Mais qui sait ? Il est possible qu’il vienne dans quatre ans. Quelle glorieuse pensée !

— Je souhaite juste que vos frères chrétiens se contentent de l’attendre en paix.

— Leur devoir est de préparer la terre pour Sa venue, répondit sèchement Tewdric. Ils doivent faire des convertis, Seigneur Arthur, et purifier le pays du péché.

— S’ils ne font pas attention, grommela Arthur, ils déclencheront une guerre entre eux et nous. »

Il raconta à Tewdric les émeutes qui secouaient toutes les villes de Dumnonie quand les chrétiens essayaient d’abattre ou de profaner les temples païens. Les événements d’Isca n’étaient qu’un début, les troubles se répandaient comme une traînée de poudre, et l’un des symptômes de cette ébullition était le signe du poisson  – un simple gribouillage fait de deux courbes  – que les chrétiens peignaient sur les murs païens ou sculptaient sur les arbres des bosquets druidiques. Culhwch avait raison : le poisson était un symbole chrétien.

« Parce que poisson se dit ichthus en grec, nous expliqua Tewdric, et que les lettres grecques résument le nom du Christ : Iesous Christos, Theou Uios, Soter, Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur. C’est simple, vraiment tout simple. » Il gloussa de plaisir, et l’on n’avait aucune peine à voir de qui Meurig tenait son fâcheux pédantisme. « Naturellement, reprit Tewdric, si je régnais encore, tous ces troubles me soucieraient, mais en tant que chrétien je ne peux que m’en féliciter. Les saints pères nous disent qu’il y aura pléthore de signes et de présages des derniers jours, Seigneur Arthur, et les désordres civiques ne sont qu’un de ces signes. Peut-être la fin est-elle proche ? »

Arthur émietta un bout de pain dans son écuelle. « Vous vous réjouissez vraiment de ces émeutes ? Vous approuvez les attaques contre les païens ? Les sanctuaires incendiés et saccagés ? »

Par la porte ouverte, Tewdric regarda les bois verts qui cernaient son petit monastère. « J’imagine qu’il doit être difficile aux autres de comprendre, dit-il, évitant de répondre directement à la question d’Arthur. Vous devez y voir des signes d’excitation, Seigneur Arthur, non des signes de la grâce de Notre Seigneur. » Il fit le signe de la croix et sourit. « Notre foi, dit-il sincèrement, est une religion d’amour. Le Fils de Dieu s’est humilié pour nous sauver de nos péchés et nous sommes instamment pressés de l’imiter dans tout ce que nous faisons ou pensons. Nous sommes encouragés à aimer nos ennemis et à faire du bien à ceux qui nous haïssent, mais ce sont des commandements difficiles, trop difficiles pour la plupart des gens. Et vous ne devez pas oublier ce pour quoi nous prions avec le plus de ferveur : le retour sur cette terre de Notre Seigneur Jésus-Christ. » Il fit de nouveau le signe de la croix. « Les gens prient et attendent impatiemment Son second avènement. Ils craignent qu’il ne revienne pas si le monde est encore gouverné par des païens et se sentent donc obligés de détruire l’idolâtrie.

— Détruire le paganisme, observa sèchement Arthur, ne semble guère conforme à une religion qui prêche l’amour.

— Détruire le paganisme est un acte plein d’amour, insista Tewdric. Si vous, les païens, vous refusez d’accepter le Christ, vous irez sûrement en Enfer. Peu importe que vous ayez mené une vie vertueuse, vous serez la proie des flammes pour l’éternité. Notre devoir à nous, chrétiens, c’est de vous arracher à ce destin. Ce devoir n’est-il pas un acte d’amour ?

— Pas si je n’ai aucune envie d’être sauvé, répondit Arthur.

— Alors vous devez endurer l’inimitié de ceux qui vous aiment, fit Tewdric, ou tout au moins l’endurer jusqu’à ce que l’excitation s’éteigne. Et elle s’éteindra. Ces enthousiasmes ne durent jamais longtemps et, si Notre Seigneur Jésus-Christ ne revient pas dans quatre ans, l’excitation retombera certainement jusqu’au millenium. » Il fixa de nouveau les bois épais, puis reprit d’une voix émerveillée : « Ce serait merveilleux s’il m’était donné de vivre assez longtemps pour voir en Bretagne le visage de mon Sauveur ! » Il se retourna vers Arthur : « Et les présages de Son retour seront des éléments de troubles, je le crains. Sans nul doute les Saxons seront-ils une nuisance. Font-ils beaucoup d’ennuis ces temps-ci ?

— Non, mais leur nombre croît d’année en année. Je crains qu’ils ne se tiennent plus tranquilles bien longtemps.

— Je prierai pour que le Christ revienne avant, fit Tewdric. Je ne crois pas que je supporterais que le pays tombe entre les mains des Saxons. Non que ce soit encore mon affaire, bien entendu, s’empressa-t-il d’ajouter, car je laisse tout cela aux soins de Meurig maintenant. » Une corne sonna depuis la chapelle voisine. Il se leva. « L’heure des prières ! fit-il joyeusement. Peut-être vous joindrez-vous à moi ? »

Nous nous excusâmes. Le lendemain matin nous quittâmes le monastère du vieux roi pour escalader les collines et entrer dans le Powys. Deux nuits plus tard, nous étions à Caer Sws, où nous retrouvâmes Culhwch qui prospérait dans son nouveau royaume. Ce soir-là, nous fîmes tous des excès d’hydromel et le lendemain matin, lorsque je me rendis à Cwm Isaf avec Cuneglas, j’avais mal à la tête. Le roi avait pris grand soin de notre maisonnette. « Je me suis dit qu’un jour vous pourriez en avoir besoin, Derfel.

— Bientôt, peut-être, fis-je d’un air maussade.

— Bientôt ? Je l’espère.

— Nous ne sommes pas vraiment bienvenus en Dumnonie, répondis-je dans un haussement d’épaules. Mordred m’en veut.

— En ce cas, demande à être libéré de ton serment.

— Je l’ai demandé, et il a refusé. »

Je le lui avais demandé après l’acclamation, quand la honte des deux coups était encore cuisante, puis je lui avais demandé six mois plus tard, pour essuyer un nouveau refus. Je crois qu’il était assez intelligent pour deviner que la meilleure façon de me punir était de m’obliger à le servir.

« Ce sont tes lanciers qu’il veut ? demanda Cuneglas, assis sur le banc installé sous le pommier.

— Juste ma loyauté rampante, fis-je, amer. Il ne paraît pas vouloir livrer la moindre guerre.

— Alors, c’est qu’il n’est pas complètement idiot », observa Cuneglas avec une pointe d’ironie. Puis nous parlâmes de Ceinwyn et des filles, et il offrit d’envoyer Malaine, son nouveau grand druide, auprès de Dian : « Malaine n’a pas son pareil pour utiliser les herbes. Meilleur que le vieux Iorweth. Tu as su qu’il est mort ?

— On me l’a dit. Et si vous pouvez vous passer des services de Malaine, Seigneur Roi, ce serait avec plaisir.

— Il partira demain. Je ne supporte pas de savoir mes nièces malades. Nimue ne t’est d’aucune aide ?

— Ni plus ni moins que Merlin », dis-je en touchant la pointe d’une vieille lame de faucille enfoncée dans l’écorce du pommier. Le contact du fer était fait pour conjurer le mal qui menaçait Dian. « Les anciens dieux, constatai-je avec aigreur, ont abandonné la Dumnonie. »

Cuneglas sourit. « Il n’est jamais bon, Derfel, de sous-estimer les Dieux. Ils s’imposeront de nouveau en Dumnonie. Les chrétiens aiment à se comparer à des moutons, n’est-ce pas ? reprit-il après un temps de silence. Eh bien, écoute-les donc bêler le jour où viendront les loups.

— Quels loups ?

— Les Saxons, dit-il d’un air piteux. Ils nous ont accordé dix ans de paix, mais leurs bateaux continuent à débarquer sur les côtes de l’est et je sens leur force grandir. S’ils se remettent à nous combattre, vos chrétiens seront assez ravis de vos épées païennes. » Il se leva et posa la main sur mon épaule. « Nous n’en avons pas fini avec les Saxons, Derfel. Nous sommes loin d’en avoir fini. »

Le soir, il nous offrit un banquet. Le lendemain matin, avec un guide que Cuneglas mit à notre disposition, nous nous enfonçâmes au sud, dans les collines désolées qui se trouvent par-delà l’ancienne frontière de la Silurie.

Nous nous dirigions vers une communauté chrétienne isolée. Les chrétiens étaient encore peu nombreux au Powys, car Cuneglas expulsait impitoyablement de son royaume les missionnaires de Sansum chaque fois qu’il en découvrait. Mais son royaume abritait tout de même une poignée de chrétiens, et ils étaient plus nombreux dans les anciennes terres de la Silurie. Ce groupe-ci, en particulier, était réputé pour sa sainteté parmi les chrétiens de Bretagne, et ils illustraient cette sainteté en vivant dans un extrême dénuement au cœur d’un pays sauvage et hostile. Ligessac avait trouvé refuge parmi ces chrétiens fanatiques qui, comme nous en avait avertis Tewdric, se mortifiaient les chairs : autrement dit, c’était à qui aurait la vie la plus misérable. Certains vivaient dans des grottes, d’autres refusaient tout abri, et d’autres encore ne mangeaient que des herbes. Certains ne voulaient aucun vêtement, d’autres portaient des tuniques de crin entremêlées de ronces et des couronnes d’épines. D’autres encore se fouettaient chaque jour jusqu’au sang comme les flagellants que nous avions vus à Isca. De mon point de vue, le meilleur châtiment que nous pouvions infliger à Ligessac était de le laisser croupir dans une communauté de ce genre, mais nous avions reçu l’ordre d’aller le chercher et de le ramener au pays. Ce qui voulait dire qu’il nous faudrait défier le chef de la communauté, un farouche évêque du nom de Cadoc réputé pour son caractère belliqueux.

Cette réputation nous persuada d’endosser notre armure aux abords du sordide repaire de Cadoc dans les hautes collines. Nous ne portions pas nos meilleures armures, du moins pour ceux d’entre nous qui avions le choix, car c’est en pure perte que nous nous serions mis en frais pour ce ramassis de saints fanatiques à demi déments, mais nous avions tous un casque, des mailles ou du cuir et un bouclier. Au moins pourrions-nous intimider les disciples de Cadoc qui, à en croire notre guide, n’étaient pas plus de vingt âmes : « Ils sont tous fous. L’un d’eux est resté figé sur place, comme mort, une année entière ! Sans bouger le moindre muscle, à ce qu’ils disent. Cloué sur place comme un manche à balai tandis qu’ils lui donnaient à manger par un bout pour recueillir ses excréments de l’autre. Drôle de Dieu qui exige cela d’un homme ! »

La route du refuge avait été aplanie par les pas des pèlerins et serpentait sur les flancs des collines sauvages et pelées, où les seuls êtres vivants que nous aperçûmes étaient des moutons et des chèvres. Nous ne vîmes aucun berger, mais sans doute nous avaient-ils repérés. « Si Ligessac a le moindre bon sens, assura Arthur, il aura filé depuis longtemps. Ils ont dû nous voir maintenant.

— Et que dirons-nous à Mordred ?

— La vérité, naturellement », répondit Arthur d’un air morne. En guise d’armure, il portait un simple casque de lancier et un plastron de cuir, mais, si ordinaires fussent-elles, ces pièces avaient fière allure sur lui. Sa vanité ne fut jamais aussi flamboyante que celle de Lancelot, mais il était sourcilleux sur ce chapitre, et toute cette expédition dans ce pays inhospitalier le choquait dans son sens de la propreté et des convenances. Le temps maussade n’arrangeait rien à l’affaire, avec la pluie portée par un vent d’ouest glacial.

Si Arthur était abattu, nos lanciers étaient plutôt guillerets. Ils ne cessaient d’évoquer en plaisantant l’assaut qu’ils allaient donner au bastion du puissant roi Cadoc et de se vanter de l’or, des anneaux de guerrier et des esclaves dont ils allaient s’emparer, et ils riaient de bon cœur de leurs extravagances. Nous nous attaquâmes enfin au dernier contrefort, d’où on avait vue sur la vallée où Ligessac avait trouvé refuge. C’était bel et bien un lieu sordide : un océan de boue, où une douzaine de cabanes de pierre rondes entouraient une petite église de pierre carrée, quelques potagers mal tenus, un petit lac noir, quelques enclos de pierres pour les chèvres de la communauté, mais pas de palissade.

La seule défense dont se targuât la vallée était une grande croix de pierre ornée de motifs complexes et une image du Dieu chrétien en majesté. La croix, qui était une œuvre magnifique, marquait le contrefort où commençait la terre de Cadoc : c’est juste à côté, bien en vue de la toute petite colonie qui n’était qu’à douze lancers de javelines, qu’Arthur arrêta notre bande de guerre. « Nous n’entrerons pas, expliqua-t-il avec douceur, avant d’avoir eu l’occasion de discuter avec eux. » Il posa la hampe de sa lance à terre, à côté des sabots de son cheval, et attendit.

On apercevait une douzaine de gens dans l’enceinte. Nous voyant, ils se réfugièrent dans l’église d’où, un instant plus tard, sortit un colosse qui se dirigea vers nous à grandes enjambées. C’était un géant, aussi grand que Merlin, avec une poitrine robuste et de grosses pognes. Il était aussi d’une saleté repoussante, avec un visage barbouillé, une robe brune crottée, tandis que ses cheveux gris, aussi sales que sa robe, semblaient n’avoir jamais connu les ciseaux. Sa barbe lui tombait au-dessous de la taille, tandis que, derrière sa tonsure, ses cheveux crasseux formaient comme une grande toison grise fraîchement tondue. Son visage était tanné. Il avait une bouche immense, un front en avant et des yeux furieux. Un visage marquant. Dans sa main droite, il tenait un bâton tandis qu’une grande épée rouillée sans fourreau pendait à sa hanche gauche. On l’aurait volontiers pris pour un ancien lancier et je ne doutais pas qu’il pût encore porter un ou deux coups efficaces. « Vous n’êtes pas les bienvenus ici, cria-t-il en approchant, à moins que vous ne soyez venus déposer vos âmes misérables devant Dieu.

— Nous avons déjà déposé nos âmes devant nos dieux, fit Arthur d’un ton affable.

— Païens ! cracha le géant, qui devait être le fameux Cadoc. Vous êtes venus porter le fer et l’acier dans un endroit où les enfants du Christ jouent avec l’agneau de Dieu ?

— Nous sommes venus en paix », insista Arthur.

L’évêque lança un gros glaviot jaune en direction du cheval d’Arthur : « Tu es Arthur ap Uther ap Satan et ton âme est un immonde chiffon.

— Et vous, j’imagine, vous êtes l’évêque Cadoc », répondit courtoisement Arthur.

L’évêque se plaça à côté de la croix et, avec l’extrémité de son bâton, traça une ligne sur le chemin : « Seuls peuvent franchir cette ligne les fidèles et les pénitents, car c’est la terre sainte de Dieu. »

Arthur considéra quelques instants ce coin pouilleux, puis adressa un sourire grave à l’intraitable évêque : « Je n’ai aucune envie de fouler la terre de votre Dieu, l’évêque, mais je vous demande pacifiquement de nous amener le dénommé Ligessac.

— Ligessac, rugit Cadoc comme s’il s’adressait à des milliers de fidèles, est un enfant saint et béni de Dieu. Il a trouvé refuge dans ce sanctuaire, et ni toi ni aucun autre seigneur ne saurait envahir ce sanctuaire. »

Arthur sourit : « C’est un roi qui règne ici, l’évêque, non votre Dieu. Seul Cuneglas peut offrir un sanctuaire, et il ne l’a pas fait.

— Mon roi, Arthur, répliqua fièrement Cadoc, c’est le Roi des Rois, et Il m’a ordonné de te refuser l’entrée.

— Vous me résisterez ? demanda Arthur sur un ton de surprise courtoise.

— Jusqu’à la mort ! » cria Cadoc.

Arthur secoua tristement la tête : « Je ne suis pas chrétien, l’évêque, mais ne prêchez-vous point que votre autre monde est un lieu de pures délices ? » Cadoc ne répondant rien, Arthur haussa les épaules. « Alors je vous fais une faveur, n’est-ce pas, en vous précipitant vers votre destination ? »

Il tira Excalibur.

L’évêque se servit de son bâton pour approfondir la ligne qu’il avait tracée sur le chemin de boue. « Je vous interdis de franchir cette ligne, cria-t-il, je vous l’interdis au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! » Puis il leva le bâton et le pointa vers Arthur. Il le brandit ainsi l’espace d’une seconde, puis le pointa sur chacun de nous l’un après l’autre, et je confesse que j’en eus un frisson. Cadoc n’était pas Merlin, et le pouvoir de son Dieu, me dis-je, n’avait rien à voir avec celui des dieux de Merlin. Mais je frissonnai lorsqu’il pointa son bâton sur moi et touchai ma cotte de fer et crachai sur la route. « Je m’en vais prier, maintenant, Arthur, prévint Cadoc, et si vous voulez vivre, faites demi-tour et quittez ce lieu, car si vous passez devant cette sainte croix, je vous jure, par le doux sang du Seigneur Jésus-Christ, que vos âmes souffriront  le  tourment  des  flammes  éternelles. Vous  serez maudits du début jusqu’à la fin et des voûtes du ciel jusqu’aux basses fosses de l’enfer. » Quand il en eut fini avec sa malédiction, il cracha à nouveau et s’en retourna.

Arthur essuya Excalibur avec les basques de son manteau, puis remit l’épée au fourreau. « Il me semble que nous ne sommes pas les bienvenus », fit-il légèrement amusé. Puis il se tourna et fit signe à Balin qui était le plus âgé des cavaliers présents. « Prends tes cavaliers, lui ordonna Arthur, et va derrière le village. Assure-toi que personne ne puisse s’échapper. Dès que tu seras sur place, je fouillerai les maisons avec Derfel et ses hommes. Et écoutez-moi bien ! - il haussa le ton afin que les soixante hommes pussent l’entendre  – ces gens vont résister. Ils vont nous injurier et nous combattre, mais nous n’avons de querelle avec aucun d’entre eux. Sauf avec Ligessac. Vous ne leur volerez rien ni ne leur ferez du mal inutilement. Vous devez les traiter avec respect et opposer le silence à leurs malédictions. » Il s’exprima d’une voix ferme puis, quand il fut certain que tous nos hommes l’avaient bien compris, il sourit à Balin et lui fit signe d’avancer.

Les trente cavaliers en armure filèrent au galop, contournant la vallée pour se poster à l’autre bout du village. Cadoc, qui marchait encore vers son église, leur jeta un coup d’œil sans paraître s’en alarmer.

« Je me demande, dit Arthur, comment il a su qui j’étais.

— Vous êtes célèbre, Seigneur. » Je continuais à l’appeler Seigneur et ne devais jamais me défaire de cette habitude.

« Mon nom est connu, peut-être, mais pas mon visage. Pas ici. » Il chassa le mystère d’un haussement d’épaules. « Ligessac a-t-il toujours été chrétien ?

— Depuis que je le connais. Mais jamais un bon chrétien.

— La vie vertueuse devient plus facile lorsqu’on vieillit, observa-t-il, le sourire aux lèvres. C’est du moins ce que je crois. » Il observa ses cavaliers dépasser le village au galop, leurs sabots faisant jaillir de grandes gerbes d’eau de l’herbe trempée. Puis il leva sa lance et regarda mes hommes. « N’oubliez pas ! Pas de vol ! » Je me demandai ce qu’il pouvait bien y avoir à voler dans un endroit aussi miteux, mais Arthur savait bien que les lanciers trouvent toujours quelque chose à chaparder. « Je ne veux pas d’ennuis, leur dit Arthur. Nous recherchons juste notre homme et nous repartons. » Il toucha les flancs de Llamrei, et la jument noire avança docilement. Nos hommes suivirent, effaçant sous leurs bottes la ligne tracée par Cadoc. Nulle foudre ne s’abattit du ciel.

L’évêque avait atteint maintenant son église et s’arrêta à son entrée, se retourna, nous vit avancer et s’engouffra à l’intérieur. « Ils savaient que nous arrivions, me dit Arthur, et nous ne trouverons donc pas Ligessac ici. Je crains que nous ne perdions notre temps, Derfel. » Un mouton estropié boitilla sur la route et Arthur retint sa monture pour lui laisser le passage. Je le vis frissonner. Je le savais choqué par la crasse de cette petite colonie qui valait presque celle du Tor de Nimue.

Cadoc reparut à la porte de l’église, alors que nous n’étions plus qu’à une centaine de pas. Nos chevaux attendaient maintenant derrière le village, mais Cadoc ne prit pas la peine de s’assurer de leur position. Il se contenta de porter une grande corne de bélier à ses lèvres et lança un appel qui se répéta en écho dans la cuvette formée par les collines. Il lança un premier appel, s’arrêta pour reprendre sa respiration, et lança un nouvel appel.

Et soudain, ce fut la bataille.

Ils étaient parfaitement au courant de notre venue. Et ils s’y étaient préparés. Tous les chrétiens du Powys et de Silurie avaient été appelés à la rescousse, et ce sont ces hommes qui apparurent désormais sur les crêtes, tout autour de la vallée, tandis que d’autres  couraient bloquer la route derrière nous.  Certains portaient des lances ou des boucliers, d’autres n’avaient pour toute arme qu’une faucille ou une fourche, mais ils avaient l’air assez confiants. Beaucoup, je le savais, étaient d’anciens lanciers enrôlés de force, mais, hormis leur foi en Dieu, ce qui les rendait si sûrs d’eux, c’est qu’ils étaient au moins deux cents. « Imbéciles ! » lâcha Arthur en colère. Il détestait les violences inutiles et savait le carnage maintenant inévitable. Il savait aussi que nous gagnerions, car seuls les fanatiques convaincus que leur Dieu se battrait pour eux pouvaient oser affronter soixante des meilleurs guerriers de la Dumnonie. « Imbéciles ! » Il cracha de nouveau puis, jetant un coup d’œil au village, aperçut d’autres hommes en armes qui sortaient des cabanes : « Reste ici, Derfel. Retiens-les et nous allons les voir détaler. » Il éperonna sa monture et se dirigea seul au galop vers l’autre bout du village pour rejoindre ses cavaliers.

« Cercle de boucliers », dis-je tranquillement. Nous n’étions qu’une trentaine d’hommes et notre mur sur deux rangs formait un cercle si petit qu’il dut apparaître comme une cible facile à ces chrétiens hurlant qui dévalaient les collines ou sortaient du village pour nous anéantir. Le cercle de boucliers n’est pas une formation qu’affectionnent les soldats parce que les pointes des lances sont très espacées les unes des autres. Plus le cercle est petit, plus grands sont les écarts entre les lances, mais mes hommes étaient bien entraînés. Le premier rang s’agenouilla, leurs boucliers se touchant, le bout de leurs lances calé dans la terre derrière eux. Nous autres, au second rang, posâmes nos boucliers sur ceux du premier rang, les étayant sur le sol, si bien que nos assaillants étaient face à un mur d’une double épaisseur fait de bois recouvert de cuir. Puis chacun de nous se posta derrière un homme à genoux et brandit sa lance au-dessus de sa tête. Notre tâche était de protéger le premier rang, la leur de tenir ferme. Ce serait une besogne rude et sanglante, mais tant que les hommes agenouillés tiendraient leurs boucliers bien haut et auraient leurs lances bien en main, et tant que nous les protégerions, le cercle serait assez sûr. Je rappelai le but de la manœuvre aux hommes du premier rang, leur expliquant qu’ils n’étaient qu’un obstacle et devaient nous laisser le soin de tuer : « Bel est avec nous !

— Arthur aussi », ajouta Issa avec enthousiasme.

Car, aujourd’hui, le carnage serait l’œuvre d’Arthur. Nous étions le leurre, il était le bourreau. Et les hommes de Cadoc se jetèrent sur ce leurre comme un saumon affamé sur un éphémère. C’est Cadoc en personne qui mena la charge depuis le village, brandissant son épée rouillée et un grand bouclier rond peint d’une croix noire derrière laquelle je devinais les traces du renard de Silurie qui trahissait ses anciennes allégeances. C’était un ancien lancier de Gundleus.

La horde des chrétiens ne s’avança pas en formant un mur. Cela leur aurait sans doute valu la victoire. Ils attaquèrent à l’ancienne mode, celle qui avait permis aux Romains de nous écraser. Dans l’ancien temps, lorsque les Romains mirent les pieds en Bretagne, les tribus les chargeaient dans une glorieuse mêlée hurlante et imbibée d’hydromel. Le spectacle était redoutable, mais des hommes disciplinés venaient facilement à bout de cette charge. Et mes lanciers étaient merveilleusement disciplinés.

Sans doute n’étaient-ils pas exempts de crainte. Moi-même, j’étais impressionné, car la meute hurlante est un spectacle terrible. Elle est efficace contre des hommes mal disciplinés à cause de la terreur qu’elle provoque. Et c’est la première fois qu’il m’était donné de voir des Bretons se battre comme autrefois. Les chrétiens de Cadoc se ruèrent frénétiquement sur nous, chacun voulant être le premier à se jeter sur nos lanciers. Ils poussaient des cris perçants et nous lançaient des malédictions, et on aurait dit que chacun d’eux aspirait à mourir en martyr ou à devenir un héros. Il y avait même des femmes parmi eux, qui hurlaient en brandissant des gourdins de bois ou des faucilles. Et il y avait même des enfants dans cette meute hurlante.

« Bel ! » criai-je lorsque le premier homme tenta de sauter pardessus les hommes agenouillés du premier rang et tomba sur ma lance. Je l’embrochai comme un lièvre prêt à rôtir, puis le repoussai avec son attirail afin que son corps mourant fît obstacle à ses camarades. Hywelbane tua le suivant. J’entendis mes lanciers entonner leur redoutable chant de guerre tout en étripant ou frappant de taille et d’estoc. Nous étions tous si vaillants, si rapides et si bien entraînés. Des heures d’exercice fastidieux se cachaient derrière la formation de ce cercle et, alors même qu’aucun d’entre nous n’avait combattu depuis des années, nous découvrîmes que nos vieux instincts n’avaient rien perdu de leur vivacité. C’est l’instinct et l’expérience qui nous sauvèrent la vie ce jour-là. Hurlant et gesticulant, l’ennemi se pressait autour de notre cercle, lance en avant, mais notre premier rang demeura aussi solide qu’un roc et le monceau des morts et des moribonds augmentait si rapidement devant nos boucliers qu’il barrait la route aux autres assaillants. Pendant une minute ou deux, alors que le terrain n’était pas encore jonché d’obstacles et que les plus braves pouvaient encore s’approcher, ce fut une lutte acharnée, mais sitôt que le cercle des morts et des mourants nous protégea, seuls les plus vaillants essayèrent de nous atteindre. Il ne nous restait plus qu’à choisir notre cible pour nous exercer à l’épée ou à la lance. Nous ne perdions pas un instant et ne cessions de nous encourager à tuer sans merci.

Cadoc lui-même fut l’un des premiers à charger. Il approcha en faisant siffler sa grande épée rouillée. Il connaissait assez bien son métier et essaya de bousculer l’un des hommes à genou, car il savait que, sitôt une brèche ouverte, nous n’en aurions plus pour longtemps. Je parai son assaut avec Hywelbane et donnai un grand coup d’épée qui se perdit dans son immonde crinière. Puis Eachern, le rude petit lancier irlandais qui continuait à me servir malgré les menaces de Mordred, dirigea la hampe de sa lance vers la tête de l’évêque. Un coup d’épée l’avait privé de sa pointe, mais Eachern enfonça la pointe de fer du talon dans le front de Cadoc. L’espace d’une seconde, l’évêque parut loucher, ouvrit la bouche sur ses dents pourries, puis s’effondra dans la boue.

Le dernier assaillant à tenter d’ouvrir une brèche dans notre cercle fut une femme hirsute qui escalada le cercle des cadavres et me hurla une malédiction en essayant de sauter par-dessus les hommes agenouillés du premier rang. Je la saisis par les cheveux, laissai son couteau émoussé s’écraser sur ma cotte de mailles et la tirai à l’intérieur du cercle où Issa lui enfonça la tête dans la terre. C’est alors qu’Arthur frappa.

Trente cavaliers avec leurs longues lances fondirent sur la meute des chrétiens. J’imagine que cela faisait trois minutes que nous nous défendions, mais sitôt qu’Arthur arriva la bataille fut terminée en un clin d’œil. Ses cavaliers arrivèrent au galop, lance couchée. Une lance s’enfonça dans sa victime avec une effroyable giclée de sang et, pris de panique, nos assaillants s’enfuirent. Abandonnant sa lance, son étincelante Excalibur à la main, Arthur cria à ses hommes de cesser le carnage : « Contentez-vous de les mettre en fuite ! » Ses cavaliers se scindèrent en petits groupes qui dispersèrent les survivants terrifiés et les refoulèrent sur la route en direction de la croix.

Mes hommes se détendirent. Issa était encore assis sur la femme hirsute et Eachern cherchait la pointe de sa lance. Deux hommes du cercle de boucliers avaient de sales blessures et un lancier du second rang avait la mâchoire brisée. De notre côté, c’était tout. Quant à nos adversaires, ils déploraient vingt-trois cadavres et au moins autant de blessés graves. Groggy par le coup d’Eachern, Cadoc vivait encore. On lui attacha les mains et les pieds puis, malgré les instructions d’Arthur qui nous avait invités au respect, on lui fit honte en lui taillant la barbe et les cheveux. Il cracha et nous maudit, mais on lui fourra dans la bouche des mèches de sa barbe graisseuse avant de le reconduire au village.

Et c’est là que je découvris Ligessac. Tout compte fait, il ne s’était pas enfui, mais s’était contenté d’attendre dans l’église, près du petit autel. C’était un vieillard maintenant, maigre et aux cheveux gris, et il se laissa faire docilement, même lorsqu’on lui tailla la barbe et qu’on tressa avec ses cheveux une corde de fortune qu’on lui noua autour du cou pour signifier qu’il était un traître condamné. Il eut l’air même ravi de me retrouver après tant d’années : « Je leur ai dit de ne pas s’attaquer à toi, pas à Derfel Cadarn.

— Ils savaient que nous venions ?

— Cela fait une semaine que nous le savons, dit-il en tendant tranquillement les mains à Issa qui lui noua les poignets avec une corde. Nous souhaitions même votre venue. Nous pensions que c’était l’occasion où jamais de débarrasser la Bretagne d’Arthur.

— Et pourquoi ça ?

— Parce qu’Arthur est l’ennemi des chrétiens, voilà pourquoi.

— Ce n’est pas vrai, fis-je avec mépris.

— Et que sais-tu donc, Derfel ? me demandai Ligessac. Nous préparons la Bretagne au retour du Christ et nous devons nettoyer le pays des païens ! lança-t-il d’une voix forte, sur un ton de défi, puis il haussa les épaules et fit un large sourire. Mais je leur ai dit qu’ils n’arriveraient pas à tuer Arthur et Derfel comme ça. J’ai dit à Cadoc que vous étiez trop forts. »

Il se leva et suivit Issa hors de l’église. Dans l’encadrement de la porte, il se tourna vers moi :

« J’imagine que je vais mourir, maintenant ?

— En Dumnonie.

— Je vais voir Dieu en face, répondit-il avec un haussement d’épaules. Qu’ai-je à craindre ? »

Je le suivis dehors. Arthur avait libéré la bouche de l’évêque, qui nous débitait maintenant un chapelet d’injures. De la pointe d’Hywelbane, je lui chatouillai le menton fraîchement rasé. « Il savait que nous venions, dis-je à Arthur, et ils comptaient nous tuer ici.

— Raté, dit Arthur, rejetant la tête de côté pour éviter un glaviot épiscopal. Retire ton épée, m’ordonna-t-il.

— Vous ne voulez pas sa mort ?

— Son châtiment sera de vivre ici, plutôt qu’au ciel », décréta Arthur.

Nous nous retirâmes avec Ligessac, sans réfléchir vraiment à ce que Ligessac nous avait révélé dans l’église. Il avait affirmé savoir depuis une semaine que nous arrivions. Or, une semaine auparavant, nous étions en Dumnonie, non pas au Powys, ce qui voulait dire que quelqu’un, en Dumnonie, les avait avertis de notre venue. Pas une seconde nous n’aurions associé un Dumnonien à ce massacre boueux dans ces lugubres collines. Nous expliquions le carnage par le fanatisme chrétien, non par une trahison. Mais c’était bien une embuscade.

Aujourd’hui, naturellement, il se trouve des chrétiens pour donner une autre version. Ils prétendent qu’Arthur a investi par surprise le refuge de Cadoc, qu’il a violé les femmes, tué les hommes, volé tous les trésors, alors que je n’ai vu aucun viol et que nous n’avons tué que ceux qui essayaient de nous tuer. Je n’ai pas trouvé non plus le moindre trésor à barboter et, même s’il y en avait eu un, Arthur n’y aurait pas touché. Le jour viendrait, pas si lointain, où je verrais Arthur tuer à tour de bras, mais ces morts seraient tous des païens. Les chrétiens n’en persistèrent pas moins à le tenir pour un ennemi et la défaite de Cadoc ne fit que nourrir leur haine. L’évêque devint à leurs yeux une sorte de saint vivant et c’est à peu près à cette époque que les chrétiens se mirent à présenter Arthur comme l’Ennemi de Dieu. Ce surnom devait lui rester collé à la peau jusqu’à la fin de ses jours.

Son crime, bien entendu, n’était pas d’avoir défoncé quelques têtes de chrétiens dans la vallée de Cadoc, mais d’avoir toléré le paganisme aussi longtemps qu’il gouverna la Dumnonie. Jamais il ne vint à l’idée des chrétiens les plus enragés qu’Arthur lui-même était païen et tolérait le christianisme. Ils le condamnaient tout simplement parce qu’il avait le pouvoir d’extirper le paganisme et qu’il n’en faisait rien : c’est ce péché qui faisait de lui l’Ennemi de Dieu. Ils n’avaient pas oublié non plus comment il avait abrogé la décision d’Uther exemptant l’Eglise des prêts forcés.

Mais tous les chrétiens ne le détestaient pas. Parmi les lanciers qui combattirent dans la vallée de Cadoc, il y en avait au moins une vingtaine. Galahad avait pour lui une grande affection, et il n’était pas le seul. Ainsi de l’évêque Emrys, qui comptait parmi ses tranquilles partisans. Mais en ces temps de troubles, à la fin des cinq premiers siècles du règne du Christ sur terre, l’Église n’écoutait pas ces hommes calmes et dignes. Elle préférait tendre l’oreille aux fanatiques qui assuraient qu’il fallait débarrasser le monde des païens si l’on voulait que le Christ revînt. Aujourd’hui, je sais, naturellement, que la religion de Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule vraie foi et qu’il ne saurait exister aucune autre vraie foi à la lumière glorieuse de sa vérité, mais elle me paraissait tout de même étrange. Et aujourd’hui encore, Arthur, le plus juste et droit des souverains, est traité d’Ennemi de Dieu.

Et de tous les noms d’oiseaux du monde. Nous fîmes taire Cadoc d’un coup sur la tête avant de nous retirer avec Ligessac, tenu comme en laisse par l’extrémité de sa barbe enroulée autour de son cou.

 

*

 

Arthur et moi nous séparâmes à côté de la croix de pierre, à l’entrée de la vallée. Il conduirait Ligessac au nord, puis obliquerait à l’est, pour retrouver les bonnes voies qui le ramèneraient en Dumnonie. Quant à moi, j’avais décidé d’aller en Silurie retrouver ma mère. J’emmenai Issa et quatre lanciers, laissant les autres rentrer avec Arthur.

Tous les six, nous fîmes le tour de la vallée de Cadoc, où une triste bande de chrétiens amochés et sanguinolents s’étaient assemblés pour chanter des prières à leurs morts. Puis nous traversâmes les grandes collines pelées pour nous enfoncer dans les vallées verdoyantes et encaissées qui menaient à la mer de Severn. Je ne savais pas où vivait Erce, mais je soupçonnais qu’il ne serait pas trop difficile de la retrouver car Tanaburs, le druide que j’avais tué à Lugg Vale, l’avait recherchée afin de jeter sur elle un charme redoutable. Et assurément l’esclave saxonne ainsi maudite par le druide devait être connue comme le loup blanc. Et elle l’était.

Je la retrouvai sur la côte, dans un minuscule village, où les femmes faisaient du sel tandis que les hommes attrapaient du poisson. Les villageois reculèrent en voyant les boucliers peu familiers de mes hommes, mais je me glissai dans l’un de leurs bouges où un enfant apeuré me montra du doigt la maison de la Saxonne : une petite chaumière perchée sur une falaise. En vérité, ce n’était même pas une chaumière, mais une cabane sommaire faite de débris de navires naufragés et recouverte d’un toit de paille et d’algues. Un feu brûlait devant la maison et une douzaine de poissons fumaient au-dessus de ses flammes, tandis qu’une fumée plus suffocante encore s’élevait des feux de charbon allumés sous les auges de sel au pied de la falaise. Je laissai ma lance et mon bouclier au pied de l’à-pic pour m’engager sur le sentier escarpé. Un chat se hérissa en me montrant les dents lorsque je me glissai dans la cabane.

« Erce ? Erce ? » appelai-je.

Quelque chose se leva dans la pénombre. Une forme sombre et monstrueuse qui se défit de couches de peaux et de haillons pour me dévisager. « Erce ? C’est toi, Erce ? »

Qu’attendais-je donc ce jour-là ? Je n’avais pas vu ma mère depuis plus de vingt-cinq ans, depuis le jour où les lanciers de Gundleus m’avaient arraché à ses bras et m’avaient remis à Tanaburs pour être sacrifié dans la fosse de la mort. Erce avait hurlé quand on m’avait arraché, puis on l’avait conduite en esclavage en Silurie, et elle avait dû me croire mort jusqu’au jour où Tanaburs lui avait révélé que je vivais encore. L’esprit fébrile, tandis que je traversais les vallées encaissées de la Silurie, j’avais imaginé je ne sais quelles embrassades avec force larmes. Le pardon et le bonheur.

Et c’est une femme immense, la tête blonde grisonnante de crasse, que je vis s’extraire d’un enchevêtrement de peaux et de couvertures pour me dévisager d’un air méfiant en cillant. C’était une créature énorme, un gros tas de chair en décomposition, avec un visage aussi rond qu’un bouclier, mais pustuleux et balafré, et de petits yeux durs injectés de sang. « C’est ainsi qu’on m’appelait jadis », fit-elle d’une voix rude.

Je sortis de la cabane, suffoqué par son odeur de pisse et de pourriture. Elle me suivit, rampant pesamment à quatre pattes pour cligner des yeux au soleil. Elle était vêtue de guenilles. « Es-tu Erce ? demandai-je à nouveau.

— Autrefois, dit-elle dans un bâillement, révélant une bouche ravagée et édentée. Il y a bien longtemps. Aujourd’hui, on m’appelle Enna. Enna la folle, reprit-elle tristement après un temps de silence, puis elle examina mes beaux vêtements, ma riche ceinture et mes grandes bottes. Qui êtes-vous, Seigneur ?

— Derfel Cadarn, Seigneur de Dumnonie. » Mais le nom ne lui disait rien. « Ton fils. »

Elle ne trahit aucune réaction, mais s’adossa au mur de sa cabane qui vacilla dangereusement sous son poids. Elle fourra une main sous ses haillons et se gratta la poitrine : « Tous mes fils sont morts.

— Tanaburs m’a pris pour me lancer dans la fosse de la mort. »

Apparemment, l’histoire ne lui disait rien. Affalée contre le mur, son corps énorme se soulevait à chacune de ses laborieuses respirations. Jouant avec le chat, elle avait les yeux fixés sur la mer de Severn, où l’on devinait au loin la côte dumnonienne qui formait une ligne noire sous une rangée de nuages chargés de pluie. « J’ai eu un fils autrefois, dit-elle enfin, qui a été donné aux dieux dans la fosse de la mort. Wygga, il s’appelait Wygga. Un beau garçon. »

Wygga ? Wygga ! Ce nom si grossier et si laid me cloua le bec l’espace de quelques secondes. « Wygga, c’est moi, dis-je enfin, prononçant ce nom qui me faisait horreur. On m’a donné un nouveau nom après que j’ai été sauvé de la fosse. »

Nous parlions saxon, langue dans laquelle j’étais désormais plus à l’aise que ma mère, car cela faisait de longues années qu’elle ne l’avait plus parlée.

« Oh, non ! » fit-elle, fronçant les sourcils. Je vis un pou se promener au bord de sa chevelure. « Non ! Wygga n’était qu’un petit garçon. Rien qu’un petit garçon. Mon premier né, et ils l’ont emporté.

— J’ai survécu, mère. »

Elle me révulsait en même temps qu’elle me fascinait, et je regrettais d’être parti à sa recherche. « J’ai survécu à la fosse et je me souviens de toi. » Et c’était vrai, mais dans ma mémoire, elle était aussi mince et souple que Ceinwyn.

« Rien qu’un petit garçon », fit-elle d’un air songeur. Elle ferma les yeux. Je crus qu’elle dormait, mais apparemment elle pissait, car un filet d’urine goutta au bord de ses jupes pour dégouliner sur le rocher qui surplombait le feu déchaîné.

« Parle-moi de Wygga.

— Lorsque Uther m’a capturée, j’étais enceinte. Un grand gaillard, cet Uther, avec un gros dragon sur son bouclier. » Elle se gratta pour chasser le pou, qui disparut dans ses cheveux. « Il m’a donnée à Madog, poursuivit-elle, et c’est sur la propriété de ce dernier que Wygga est né. Nous étions heureux chez lui. C’était un bon seigneur, gentil avec ses esclaves, mais Gundleus est venu et ils ont tué Wygga.

— Ce n’est pas vrai. Tanaburs ne te l’a pas dit ? »

Le nom du druide la fit frissonner, et elle tira son châle en lambeaux sur ses larges épaules. Elle ne dit mot, mais au bout de quelques instants des larmes perlèrent au coin de ses yeux.

Une femme grimpait sur le sentier. Elle avançait d’un pas lent, visiblement méfiante. Elle me dévisagea d’un air circonspect en se glissant sur la plate-forme rocheuse. Quand enfin elle se sentit en sécurité, elle fila devant moi pour aller se blottir à côté d’Erce. « Je m’appelle Derfel Cadarn, expliquai-je à la nouvelle venue, mais autrefois on m’appelait Wygga.

— Moi, c’est Linna », dit la femme en breton. Elle était plus jeune que moi, mais la dureté de la vie sur cette côte avait creusé son visage de sillons profonds, voûté ses épaules et raidi ses articulations tandis que sa peau était noircie par le charbon.

« Tu es la fille d’Erce ?

— La fille d’Enna, corrigea-t-elle.

— Alors je suis ton demi-frère. »

Je ne pense pas qu’elle m’ait cru. Comment l’aurait-elle pu ? Nul ne sortait vivant d’une fosse de la mort et pourtant j’en étais ressorti. J’avais été touché par les Dieux et confié à Merlin, mais que pouvait bien signifier cette fable pour ces deux femmes harassées et dépenaillées ?

« Tanaburs ! s’exclama soudain Erce, levant les deux mains pour conjurer le mal. Il a enlevé le père de Wygga ! » Elle geignit et se balança d’avant en arrière. « Il m’a pénétrée et a retiré le père de Wygga. Il m’a maudit, il a maudit Wygga et il a maudit ma matrice. » Elle pleurait maintenant. Linna prit la tête de sa mère entre ses bras et me considéra d’un air de reproche.

« Tanaburs, dis-je, n’avait aucun pouvoir sur Wygga. Wygga l’a tué parce qu’il avait du pouvoir sur Tanaburs. Tanaburs ne pouvait enlever le père de Wygga. »

Sans doute ma mère m’entendit-elle, mais elle ne me crut pas. Pendant que sa fille la berçait dans ses bras, les larmes ruisselaient sur ses joues sales et pustuleuses. Elle s’efforçait de se remémorer les bribes mal comprises des malédictions de Tanaburs. « Wygga allait tuer son père, me dit-elle. Telle était sa malédiction. Le fils va tuer son père.

— Wygga vit encore », insistai-je.

Soudain, elle arrêta de se balancer et me regarda fixement, puis hocha la tête : « Les morts reviennent pour tuer. Les enfants morts ! Je les vois, Seigneur, là-bas, dit-elle d’un ton grave, le doigt pointé vers la mer. Tous les petits morts qui viennent se venger. » Elle s’abandonna de nouveau dans les bras de sa fille. « Et Wygga tuera son père ! » Elle pleurait toutes les larmes de son corps maintenant. « Et le père de Wygga était un si bel homme ! Un tel héros. Si grand, si fort. Et Tanaburs l’a maudit. » Elle renifla puis chantonna une berceuse avec force soupirs avant de parler à nouveau de mon père, racontant comment son peuple avait traversé la mer pour s’installer en Bretagne et s’était servi de son épée pour se faire une belle maison. Erce, imaginais-je, avait été servante dans cette maison et le seigneur saxon l’avait mise dans son lit et m’avait donné la vie, cette même vie que Tanaburs n’était parvenu à m’ôter dans la fosse. « C’était un homme charmant, ajouta Erce à propos de mon père, un homme si charmant, si beau. Tout le monde le redoutait, mais il était bon avec moi. Nous riions beaucoup ensemble.

— Quel était son nom ? demandai-je, mais je crois bien l’avoir deviné avant qu’elle ne le prononçât.

— Aelle, dit-elle d’une toute petite voix, le beau, le charmant Aelle. »

Aelle ? La fumée se mit à tourbillonner autour de ma tête et, l’espace d’un instant, j’eus la cervelle aussi brouillée que l’esprit de ma mère. Aelle ? J’étais le fils d’Aelle ?

« Aelle, répéta Erce d’un air rêveur, le beau, le charmant Aelle. »

Je n’avais aucune autre question à poser. Je m’obligeai à m’agenouiller devant ma mère et à l’embrasser. Je l’embrassai sur les deux joues, puis la serrai contre moi, comme pour lui rendre un peu de cette vie qu’elle m’avait donnée. Et bien qu’elle eût cédé à mon étreinte, elle ne voulait toujours pas admettre que j’étais son fils. Je l’épouillai.

Je redescendis avec Linna et découvris qu’elle était mariée avec l’un des pêcheurs du village et qu’elle avait six enfants. Je lui donnai de l’or, plus d’or, je crois, qu’elle n’avait jamais imaginé en voir, et probablement n’avait-elle jamais soupçonné qu’il pût en exister autant. Elle fixa les petits lingots d’un air incrédule.

« Notre mère est-elle encore une esclave ?

— Nous le sommes tous, répondit-elle en faisant un geste en direction du misérable village.

— Cela vous permettra d’acheter votre liberté, dis-je en montrant l’or. Si vous le désirez. »

Elle haussa les épaules, et je doutai que la liberté changeât quoi que ce soit à leur vie. J’aurais pu aller trouver leur seigneur et acheter moi-même leur liberté, mais sans doute vivait-il au loin. Et l’or, s’il était dépensé sagement, ne manquerait pas d’adoucir leur vie, qu’ils fussent esclaves ou libres. Un jour, me promis-je, je reviendrais et tâcherais de faire plus.

« Occupe-toi de notre mère, demandai-je à Linna.

— Je n’y manquerai pas, Seigneur, répondit-elle humblement, sans parvenir à me croire.

— On n’appelle pas son frère seigneur », lui dis-je, sans parvenir à la persuader.

Je la quittai et descendis sur la côte, où mes hommes attendaient avec armes et bagages : « Nous rentrons. » Il était encore tôt, et une bonne journée de marche nous attendait.

Je m’en allais retrouver Ceinwyn. Retrouver mes filles, issues d’une lignée de rois bretons et du sang royal de leur ennemi saxon. Car j’étais le fils d’Aelle. Campé sur une colline verte dominant la mer, je m’émerveillai de l’extraordinaire écheveau de la vie, sans parvenir à en débrouiller le sens. J’étais le fils d’Aelle, mais qu’est-ce que ça changeait ? Cela n’expliquait ni n’exigeait rien. Le destin est inexorable. Et je rentrais chez moi.

L'ennemi de Dieu
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